Mars 2024

L’ACRF-Femmes en milieu rural, en collaboration avec quelques réseaux et acteurs de terrain, vous partage cette Lettre Ouverte destinée à sensibiliser à l’importance de maintenir les guichets des banques ouverts, malgré le télétravail et la digitalisation croissants.

Aujourd’hui, l’accès aux services fondamentaux publics ou privés est principalement numérisé. La crise sanitaire a sans nul doute accéléré la transition digitale dans de nombreux secteurs et surtout les opérations bancaires informatisées qui passent presque exclusivement par internet.

Si cela apporte de nombreux avantages, aujourd’hui encore, 40% de la population belge reste vulnérable face au numérique.

En tant que femmes vivant en milieu rural, nous constatons tous les jours les freins à l’accès numérique et souhaitons dénoncer les conséquences désastreuses de la perte de contact humain.

Nous remarquons que l’analphabétisme numérique concerne davantage certains publics dont les personnes plus âgées, pour lesquelles les manipulations informatiques ne sont pas intuitives. Certaines ont beau essayer de s’y familiariser, elles n’y parviennent pas. D’autres ne sont pas intéressées ou sont véritablement effrayées face à ces technologies encore nouvelles.

La fracture numérique touche également les familles et les jeunes. Bien qu’à l’aise sur les réseaux sociaux, de nombreux jeunes n’ont pas les connaissances nécessaires pour enregistrer un document sur leur ordinateur, d’autres doivent partager le PC familial et d’autres encore manquent de moyens.

Nous déplorons que les citoyens non connectés vivent un véritable parcours du combattant pour réaliser les démarches fondamentales dans leur vie quotidienne. Qui plus est, la digitalisation des services les rend dépendants de leur entourage et les professionnels du social sont lourdement sollicités, au détriment de leurs missions de base, pour aider les personnes moins numérisées : prendre rendez-vous, faire un virement, répondre à un mail important, remplir des documents formatés, etc.

Nous regrettons aussi l’absence de contact réel qui engendre une méfiance croissante envers les institutions et entraîne les usagers dans des situations inextricables, qui les précarisent davantage.

Sans possibilité de parler en face à face à une personne pour expliquer leurs besoins, leur situation complexe qui ne rentre pas dans les cases, de poser des questions et d’obtenir des réponses adaptées et non « toutes-faites » à des séries de questions souvent posées, beaucoup de citoyens risquent de passer à côté de précieuses informations et de l’accès à leurs droits.
Sans véritable interaction, l’intérêt et l’empathie pour la personne disparait. Celle-ci devient un « dossier traité derrière un PC ».
Tenus à distance, les usagers des services perdent leur singularité. A force de ne pas être réellement considérés, ils ont le sentiment d’être dépossédés de leur autonomie, de leur dignité et de leur humanité. Les personnes seules voient leur isolement renforcé et les plus fragiles subissent la situation avec angoisse et stress. Leur santé mentale en prend un coup !

Des allers-retours de mails, d’appels et de rappels font perdre beaucoup de temps de part et d’autre et entraînent parfois le dépassement des délais d’accès à certaines aides, des renouvellements de droits, des formulaires en ligne incompris et mal complétés car non expliqués par un ou une conseillère peuvent avoir des conséquences dramatiques dans le quotidien des citoyens.  La responsabilité en est alors reportée sur l’usager qui a fait une « erreur », le pénalisant voire même le culpabilisant.
Au lieu d’accélérer les procédures, dans tous ces cas, le numérique, finalement, les complexifie, les ralentit ou les rend impossible.
Par ailleursla sécurité numérique inquiète autant les publics non connectés que les travailleurs de terrain amenés à les aider. Le partage d’un code secret et de données personnelles pour des opérations bancaires, les vols de données, les bugs informatiques… etc. sont autant de risques que l’on pourrait éviter en permettant à ces publics d’accéder à des guichets ouverts et sans pour cela que les opérations leurs soient facturées !

Ce  tout au numérique  qui devait permettre aux administrations de travailler avec moins de pression dans leurs bureaux nous laisse perplexes.

Quoi qu’il en soit, il semble qu’il y ait une forme de désinvolture à l’égards des utilisateurs, ce qui donne un sentiment de discrimination.  Nous estimons qu’il est plus que temps de retrouver un retour à la normale. Les courriers par mails et les rendez-vous en ligne, bien que faciles pour une partie de la population, ne le sont absolument pas pour l’autre, plus précarisée ou âgée.

Les décisions administratives restreignant l’accès physique aux organismes publics et privés renforcent la précarité des citoyens.  

En somme, si le numérique a de nombreux avantages et qu’il est essentiel de continuer à travailler pour équiper et former les publics précaires, nous refusons que ce numérique devienne l’unique accès aux aides et services. Il est primordial de maintenir le contact humain tant dans les administrations publiques que privées.
Aucune intelligence artificielle ne remplacera jamais une personne dans le règlement de difficultés sociales et administratives. Elle ne pourra pas redonner confiance, courage et dignité comme le font les acteurs de terrain.
Dès lors, il faut laisser le choix aux publics ! Qu’ils puissent, selon leurs compétences, décider de rencontrer un agent au guichet, remplir un formulaire papier, s’enregistrer par téléphone, ou finalement passer par internet.

Nous voulons éviter de creuser davantage les inégalités sociales et le non-recours aux droits sociaux, il est essentiel que chacune et chacun soit libre de choisir, que chacune et chacun puisse exister.                                         

 La digitalisation ne peut pas être la norme !